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François Guerrette en direct de Sudbury

guerrettewebNous recevons le poète François Guerrette à Sudbury du 10 au 19 octobre pour une résidence d’écriture. Il publiera son carnet de voyage à tous les jours sur cette page. Nous vous invitons à le suivre en direct dans son aventure sudburoise!

François Guerrette, né en 1986 à Rimouski, a publié trois livres aux éditions Poètes de brousse, dont Pleurer ne sauvera pas les étoiles (2012) et Les oiseaux parlent au passé (2009), tous deux finalistes au prix Émile-Nelligan. Titulaire d’une maîtrise en création littéraire de l’UQAM, il vit depuis quelques années à Montréal où il a fondé et animé le Cabaret de la Pègre (2011-2013). Son quatrième livre, Mes ancêtres reviendront de la guerre, paraîtra cet automne.

 

18 octobre

La fin de mon épopée sudburoise approche, c’est dommage, mon anglais tout croche commence à peine à devenir acceptable. Les femmes trouvent maintenant très mignon mon accent de frenchie en voyage, je ne m’exprime plus comme un colon de rang, mais comme un gentleman qui vient de loin.

Je suis dangereusement en voie de devenir un poète radio-canadien, de faire un Jean-Paul Daoust de moi-même en faisant plus souvent qu’il ne le faut le bouffon derrière un micro. Hier, j’ai donné une deuxième entrevue en deux jours sur les ondes de la Première chaîne, cette fois-ci avec la pétillante et très jolie Elizabeth Ryan. J’aurais pu répondre à ses questions pendant des heures, juste pour me régaler en la regardant, mais l’entrevue malheureusement n’a duré que dix minutes. J’ai été toutefois content qu’elle me dise que mon blog rend clairement hommage à la vie nocturne sudburoise, je craignais qu’on interprète mes textes comme des attaques plus ou moins méprisantes, des flèches d’ironie lancées dans toutes les directions. Ça n’a jamais été mon intention, j’ai toujours voulu montrer que la beauté, le plaisir, se cachent souvent là où on ne les cherche pas, dans la laideur, le froid, la bouette. La belle Elizabeth, elle, avait bien compris tout ça.

Après l’entrevue, je suis allé manger un trop petit club sandwich au Laughing Buddha. Juste à côté de moi, assis au bar, un motard de mon âge (c’est rare) s’enfilait des bières à une vitesse impressionnante. Le gars mesurait pas plus que 5 pieds 5 pouces et devait peser au moins 250 livres. Un vrai frigidaire. Quand il s’est rendu compte que je parlais français, le jeune biker était fou de joie et, dans un français cassé, rouillé, avec des « R » terrrrriblement roulés, il s’est empressé de me dire que lui aussi parlait français. Il m’a payé plusieurs shooters, quelques bières et m’a raconté joyeusement sa vie de bum qui a roulé sa bosse d’un océan à l’autre. Pour rencontrer des personnages incroyables, des hurluberlus fascinants et des brutes qui n’ont plus toutes leurs dents, Sudbury est une vraie mine d’or.

Plus tard en soirée, après le départ de mon nouvel ami et bodyguard motard, je suis allé au Speakeasy en quête d’aventures, d’ivresse et d’un peu de compagnie et c’est là, au Speakeasy, que j’ai appris où se cachaient toutes les belles jeunes femmes de Sudbury le vendredi soir. Un chansonnier un peu moumoune jouait à la guitare des vieilles tounes de Britney Spears, des Backstreet Boys et des Frères Hanson. La musique était pourrie, mais elle attirait la gente féminine comme un tas de marde attire les mouches. Pendant l’entracte, j’ai demandé au chansonnier s’il pouvait nous jouer quelque chose d’un peu plus viril. « Do you know some Tom Waits’s songs », lui ai-je demandé. « Tom who? », il semblait ne pas avoir compris. « Tom Waits », ai-je répété. « Never heard about this guy, sorry ». Était-ce possible qu’un musicien, et qui plus est un chansonnier anglophone, n’ait jamais entendu parler de Tom Waits? De toute évidence, oui, car à Sudbury tout est possible.

Quand les jolies clientes du Speakeasy ont commencé à être un peu pactées, elles ont commencé à me faire de belles manières et à rôder autour de moi comme des bêtes affamées, flairant probablement la testostérone qui cuisait dans mon pantalon comme du bon popcorn. Elles venaient toutes me parler pour entendre mon bel accent de mystérieux survenant, faisaient la file pour caresser mes longs cheveux bouclés et me faire des beaux yeux de princesses qui se trouvaient belles et qui semblaient demander « miroir, miroir, dis-moi qui est la plus cochonne… »

Quelque part en ville, il y avait une soirée hommage au « Rocky Horror Picture Show » où les spectateurs et les spectatrices étaient tous invités à s’habiller en effeuilleuse burlesque. Après le spectacle, tout ce beau monde très étrange est débarqué au Speakeasy. Ça n’a pas été bien long avant que le chansonnier moumoune prenne le bord et que tous les freaks commencent à danser, à se tripoter généreusement sur scène et à se mettre à poil avec un sans-gêne que j’ai extrêmement apprécié. Un peu partout dans le bar, il y avait des perruques de toutes les couleurs, des brassières avec des studs, des poitrines qui débordaient et des fesses à l’air qui se trémoussaient : ça sentait le sexe hardcore et le cuir chaud ce soir-là entre les quatre murs du Speakeasy. Quelques-unes des jeunes femmes venues au bar pour entendre les covers de Britney Spears, des Frères Hanson et des Backstreet Boys sont parties, terrifiées, mais d’autres, les plus saoules, sont restées et se prenaient elles aussi pour des freaks du burlesque et enlevaient leurs chandails, se touchaient comme des démones et se frenchaient sans comprendre ce qui leur arrivait. J’étais au paradis.

Suis-je rentré ensuite à mon hôtel, après le lastcall, accompagné de quatre, cinq, six effeuilleuses burlesques follement allumées, pour vider mon frigo rempli de bières et de vin blanc avec elles jusqu’au lever du soleil? Me suis-je fait prendre en otage et menotté par une horde de dominatrices surexcitées? Me suis-je fait fouetter à mort par des mères monoparentales terriblement saoules et des étudiantes en enseignement primaire sans pitié? La fin de cette soirée, chers lecteurs, je vous laisse le plaisir de vous l’imaginer, mais n’oubliez pas : tout est possible à Sudbury…

 

17 octobre

J’ai pas de pays. T’as pas de pays. On n’a pas de pays.

Qu’est-ce qu’y a pour souper? Le steak es-tu cuit?

Y a pas de steak. Juste des restants. J’ai pas de pays.

Patrice Desbiens, Sudbury.

En entrevue hier matin à Radio-Canada, j’ai lancé un SOS. J’ai fait un appel à tous pour que quelqu’un m’invite chez eux et me fasse cuire un bon steak. J’ai vraiment besoin de manger de la viande et des patates pilées, je ne suis pas outillé pour me faire à manger dans ma petite chambre du Days Inn et dans les restaurants le steak est cher en sacrament!

Plus tard dans la journée, quand j’ai eu terminé ma besogne de blogueur, à l’heure du souper, j’avais besoin d’un peu de réconfort et me suis dirigé vers le quartier ouvrier francophone de Sudbury, situé à environ trente minutes de marche du centre-ville. Ce quartier s’appelle Le Moulin à fleurs et on y retrouve le plus vieux bar de la région : The National Tavern (communément appelé « le Nash »). Je suis tombé sous le charme du Nash aussitôt que j’ai ouvert la porte de cette taverne mythique, j’avais l’impression d’entrer dans un saloon où flottait une réconfortante odeur de sueur, de bière, de vieilles moppes et de boules à mites. Enfin, je me sentais vraiment à ma place.

Derrière le comptoir, une indienne très sexy mais très blasées servait à boire. Impossible de dire quel âge elle pouvait avoir, 25, 35, 45 ans, je n’en savais rien, il est difficile de deviner l’âge des sudburoises simplement en les regardant. Je lui ai poliment commandé une Labbat 50, un gin tonic sans glace et des œufs dans le vinaigre. J’avais soif et faim. Elle m’a servi en me regardant avec un air de bœuf, moi qui lui faisait pourtant de belles manières. Elle a gardé son air de bœuf toute la soirée, mais au moins c’était un air de bœuf sexy.

Assis au comptoir, il y avait des chasseurs, des mineurs, des chômeurs, tous bâtis comme des armoires à glace et tous des habitués du Nash, des clients quotidiens depuis les années 1980 et même, dans certains cas, depuis les années 1960. Quand un premier monsieur édenté a commencé à me parler, tout le monde s’est rendu compte que je venais du Québec et là, croyez-moi, le party a pogné. On me payait des shooters de jack, de gin et des Labbat 50 tablettes. À 19h30, quand la partie de hockey des Canadiens contre les Bruins a commencé, j’étais saoul, saoul, saoul et bien dans ma peau.

La partie était présentée sur une télé minuscule et le son était coupé. J’ai demandé à ma belle indienne aux yeux tristes si elle pouvait mettre le son pour qu’on puisse suivre l’action sans se rendre myope en essayant de voir la rondelle sur cette télévision d’une autre époque. « No way mon petit garçon, ce soir c’est jeudi soir et c’est la soirée consacrée à la ligue féminine de billard, on laisse jouer la musique ».

Quand les joueuses de pool ont commencé à arriver, je me suis dit que l’adjectif « féminine », pour décrire cette ligue de billard, était un peu exagéré. Les femmes étaient encore plus bâties que les hommes assis au comptoir, elles avaient vraiment l’air de Hell’s Angels full patch et avaient des voix de cendriers en train de brûler. Les personnages de l’émission Unité 9 auraient eu l’air de gentilles maîtresses d’école primaire à côté d’elles. Mais les robustes madames semblaient toutes avoir beaucoup de plaisir. Je n’ai donc pas insisté pour que la belle waitress aigre-douce monte le volume de la télé, je voulais que les joueuses de pool gardent leur bonne humeur toute la soirée.

J’ai bu, on a bu, tous les gars assis au comptoir étaient fin saouls et prenaient pour les Canadiens qui ont finalement gagné 6 à 4. On a fait des blagues de gars chauds pendant toute la partie, mais jamais des blagues machos, on aurait tous pu se faire briser en deux par les joueuses de billard, tout le monde au bar le savait.

Après la partie, j’ai salué mon indienne préférée, elle ne m’a même pas regardé, je suis sorti et j’ai pris le premier bus qui passait devant le Nash afin de me rendre au centre-ville. J’entendais, en mon for intérieur, l’appel du Townehouse, un bar qui me plaît beaucoup trop.

Quand je suis arrivé au Townehouse, la place était presque vide, mais il y avait deux belles filles assises à une table. Elles buvaient, bien évidemment, de la Molson Canadian, comme tout le monde à Sudbury. L’une d’elles, une superbe blonde qui ressemblait comme deux gouttes d’eau à Marylin Monroe, s’est levée pour venir me voir et me demander si on se connaissait. « Your face looks familiar » m’a-t-elle avoué. Je lui répondu que non, on ne se connaissait pas, que je ne suis pas d’ici et que si je l’avais déjà vue, je m’en serais souvenu. Puis elle m’a avoué qu’elle et sa copine m’avaient déjà aperçu dans la rue et que toutes les deux me trouvaient très beau. « Do you want to sit and drink with us? », m’a-t-elle demandé. Ô que oui!

Sa copine avait un style très gothique et un maquillage ténébreux, mais elle était quand même bien jolie. Toutes deux comprenaient le français et s’amusaient en essayant de le parler, ou plutôt de le déparler, car elles étaient visiblement saoules raides. On s’amusait bien, on rigolait, j’étais content d’avoir deux jeunes femmes pour moi tout seul (car à Sudbury, autour de chaque belle fille tourne toujours 5 hommes en manque de peau), tout allait bien jusqu’au moment où elles m’ont révélé quel âge elles avaient. 19 ans! 19 fucking years old! C’était la première fois que je prenais un verre avec des personnes nées après 1995. Des personnes qui n’étaient même pas encore dans le ventre de leurs mères lorsque le Canadien de Montréal a gagné sa dernière Coupe Stanley. « Tant pis, me suis-je dit, elles sont quand même drôles et gentilles, je vais prendre quelques verres avec la gothique et la Monroe et ensuite je rentre sagement à l’hôtel, seul ».  Anyway je serais rentré seul, je l’ai compris lorsqu’elles m’ont dit que chacune d’elles avaient un petit ami, un boyfriend qu’elles aimaient very much. Tant mieux pour eux et pour elles, les nuits d’hiver doivent être terriblement froides à Sudbury!

Je leur ai demandé depuis combien de temps elles avaient un chum. La Monroe sortait avec le même gars depuis 6 ans, la gothique aussi. Je ne suis pas bon en mathématiques, mais 19 – 6 = 13, non? Ô la belle jeunesse gaspillée, j’étais triste pour elles, d’autant plus que toutes les deux avaient très hâte de se faire enfermer dans une cuisine, de vivre heureuses et d’avoir beaucoup d’enfants.

Puis est enfin arrivé le moment où les petits copains et leurs amis sont débarqués au Townehouse : des freluquets avec du duvet sous le nez, des « pinch mous » comme on dit par chez nous. Ils n’avaient pas l’air contents du tout de voir le loup que j’étais rôder autour de leurs tendres brebis. C’est pourquoi j’ai été gentil et souriant avec eux, j’ai essayé de leur faire comprendre subtilement que je ne voulais rien savoir de leurs douces moitiés, ni de la gothique, ni de la Monroe, et vers 1h30 je suis rentré au bercail pour regarder les nouvelles du sport à la télé.

Arrivé à ma chambre d’hôtel, j’étais déçu : la boîte vocale de mon téléphone était vide et je n’avais reçu aucun courriel, aucune invitation à manger un bon steak avec des patates pilées.

Gens de Sudbury, n’ayez pas peur pour vos femmes et vos filles, tout ce que je désire de vous, c’est du steak, juste ça, un gros steak avec de la purée, de la sauce et des petits pois, s’il-vous-plaît.

 

16 octobre

Ici

c’est Sudbury et il pleut comme en Angleterre.

Ici

c’est Sudbury et dehors il fait trop froid pour être cute.

Patrice Desbiens, Sudbury.

J’aurais dû apporter des bottes de pluie, c’est difficile d’écrire quand on a les pieds froids. Je suis sorti dehors cinq minutes ce matin et depuis mon âme grelotte, mes os rouillent et mes bottes de cowboy ont le rhume. La ville de Sudbury a été construite sur une grosse roche, le sol est donc imperméable et, quand dehors c’est le déluge comme aujourd’hui, les rues et les trottoirs sont inondés. Patrice Desbiens a raison, sous la pluie « la rue Elm s’étend comme un fleuve sans fond ».

Je suis allé hier soir dans un bar, le Speakeasy, pour assister à un soirée de spoken word en anglais. Un poète sudburois bilingue dont j’apprécie bien le travail, Daniel Aubin, m’avait cordialement invité à cet événement. Je dois l’admettre, j’ai aimé le spectacle, oui, j’ai aimé ne rien comprendre du tout et simplement profiter de la musicalité des voix, des accents et des mots anglais que je ne comprenais pas puisque les slameurs, ici comme au Québec, parlent toujours très vite, trop vite. Au Québec, puisque je comprends tout ce que racontent les slameurs francophones, le spoken word me donne, dans 95% des cas, envie de vomir par terre. Je ne me ferai pas de nouveaux amis parmi les slameurs québécois en écrivant ça mais je vais l’écrire quand même : de tous les modes d’expression artistique, le spoken word, à mes yeux, est de loin le plus inintéressant, celui où les exigences des gens qui le pratiquent sont les plus basses. Des jeux de mots, des rimes, des traits d’esprit faciles, des raccourcis, des opinions convenues et une prosodie qui souvent prend toute la place et devient irritante pour les oreilles et le cerveau. Très rares sont les textes de spoken word qui, regroupés à l’intérieur d’un recueil, passent le test du livre, les exemples au Québec sont nombreux, trop nombreux. Ceci dit, la soirée d’hier au Speakeasy a été charmante et j’ai beaucoup apprécié rencontrer des anglophones intelligents et très allumés, ça m’a réconcilié avec « l’autre solitude ».

À la fin de la soirée, je suis allé vider quelques Labbat 50 au Townehouse, un bar-spectacle où jouait un excellent orchestre country devant deux spectateurs. J’aime le Townehouse, on y sert d’immenses hamburgers jusqu’à deux heures du matin. Assis au comptoir, je buvais tranquillement ma bière tablette lorsque j’ai eu une apparition : Isabelle Blais, oui oui, Isabelle Blais la belle comédienne québécoise, venait d’entrer dans la taverne et buvait un scotch avec un autre bon comédien québécois, Pierre-Luc Brillant. « What the fuck, me suis-je dit, est-ce que mon séjour à Sudbury m’aurait rendu fou au point d’avoir des hallucinations de fin de soirée? » Je me suis levé de mon tabouret et suis allé les voir, c’était bien eux, en compagnie d’un autre gars, leur technicien de son, dont je ne me rappelle plus le prénom. Ils m’ont expliqué la raison de leur naufrage à Sudbury : une pièce de théâtre intitulée Midsummer, dans laquelle ils jouent tous les deux, est présentée du 16 au 18 octobre au Théâtre du Nouvel Ontario. Je leur ai moi aussi expliqué la raison de mon naufrage à Sudbury, ça n’a pas eu l’air de les intéresser beaucoup, mais c’était quand même chouette de prendre un verre avec eux, surtout avec la belle Isabelle. Quiconque a déjà fait du temps à Sudbury pourra le confirmer : une femme comme ça, au Townehouse, on voit ça seulement une fois dans sa vie.

Puisqu’ils logeaient tous les trois au même hôtel que moi, on est rentrés tous ensemble quand l’heure du last call était sur le point de sonner. De retour dans ma chambre, je me suis versé un verre de rouge que j’ai savouré en repensant à la soirée surprenante que je venais de passer. Je n’en revenais pas : prendre un verre avec deux comédiens québécois, et qui plus est avec la splendide Isabelle Blais, c’était étonnant, mais c’était quand même pas mal moins étonnant que d’aller dans une soirée de spoken word et d’aimer ça.

 

15 octobre

Je ne crains ni les difficultés comiques, ni celles qui sont tragiques;

les seules d’entre elles que je redoute sont les difficultés ennuyeuses.

Soren Kierkegaard, Le journal du séducteur.

Pourquoi citer Kierkegaard, un Danois mort depuis plus de 150 ans, sur ce blog où je raconte ma très ordinaire odyssée sudburoise? Tout simplement parce que ce matin, en ouvrant le vieux cahier que j’ai apporté avec moi, j’ai trouvé dans les premières pages cette phrase que j’avais prise en note en 2011. Elle prend clairement tout son sens maintenant que je suis à Sudbury, entre les quatre murs gris que forment les gros nuages remplis de pluie. Je préfèrerais me faire casser la gueule, me faire insulter et en rire plutôt que de n’avoir rien à faire, rien à voir, rien à redouter et/ou à aimer. Ma plus forte émotion jusqu’à présent a été provoquée par une petite souris. Merci, petite souris grise.

Comme beaucoup de Sudburois, je vais souvent, en après-midi, à la LCBO pour faire quelques provisions. LCBO est l’acronyme de Liquor Control Board of Ontario, l’équivalent de ce que nous, Québecois, appelons la SAQ. Ici aussi on peut sentir de vieux relents de prohibition, le gouvernement tient en laisse tous ceux qui ont en eux le démon de l’alcool. Impossible d’acheter de la boisson ailleurs, les épiceries et les dépanneurs n’ont même pas le droit de vendre de la bière, c’est triste. À Sudbury, il y a une très forte concentration de bons buveurs, la commission des liqueurs roule donc sur l’or et est toujours pleine à craquer, de l’ouverture à la fermeture qui, comme la fin d’un bel été, arrive toujours trop vite.

La LCBO est située au coin de Elm et Paris, entre le Tim Horton et la gare d’autobus. Je l’ai mentionné dans mon texte du 13 octobre, ce coin de rue est plutôt « spécial ». Le stationnement du Tim est bondé d’indiens ivres morts à midi qui beuglent et boivent dehors toute la journée et je trouve ça dommage, voire désolant puisque ça contribue à perpétuer le mythe selon lequel les autochtones ne savent pas boire. J’aurais tellement souhaité que ce mythe ne soit qu’un mythe et pouvoir trinquer avec eux à la santé des indiens. Dans une autre vie, un autre monde, peut-être…

De l’autre côté de la commission des liqueurs, il y a la gare d’autobus. Devant la gare, sur la rue Elm, il y a toujours une bande d’hommes blancs âgés entre 15 et 50 ans, eux aussi saouls morts à midi. Il sont généralement tous habillés avec du vieux linge hip-hop défraîchi, acheté ou volé au début des années 2000 à l’époque où c’était à la mode, dans les écoles secondaires, d’avoir les culottes à terre et des gros cotons ouatés qui donnent l’air obèse. Ils essaient de ressembler à des gangsters, des bandits dont il faut se méfier, mais personne ici ne les croit. Tout le monde sait que ce sont de pauvres types malheureux, sans femme, sans travail et coincés dans le cycle de la misère absolue.

Voilà pour la description des alentours de la LCBO. Maintenant, passons aux choses sérieuses.

En début d’après-midi, je suis allé faire quelques petites provisions d’alcool. Moi aussi, j’ai ce démon en moi. Puisqu’il pleut, j’ai sorti mon parapluie en forme de longue canne et j’ai descendu Elm jusqu’à la rue Paris. Arrivé devant la gare d’autobus, j’ai entendu les pauvres imbéciles habillés en hip-hop se foutre de ma gueule. Pourquoi se foutent-ils de ma gueule? Tout simplement parce que j’utilise un parapluie. Dans leurs petites têtes d’ivrognes et de sniffeurs d’éther, il y a trois catégories de personnes qui utilisent un parapluie : les femmes, les touristes et les fifis. Puisque je n’appartiens visiblement pas à la première catégorie et qu’il est impossible qu’un touriste se ballade à Sudbury un mercredi d’octobre, je suis forcément, à leurs yeux, un fifi et ça, pour eux, c’est très drôle.

En me regardant et en riant comme un idiot, l’un d’eux, mi-vingtaine, a commencé à chanter « Under my Umbrella » de Rihanna et tous ses amis ont eu l’air de trouver que cette blague-là était de loin la meilleure de l’année. Un autre, fin quarantaine, a même commencé à faire les back-vocals en dansant. Pour entendre le concert gratuit qu’on m’offrait, j’ai arrêté de marcher, j’ai fait deux ou trois pas dans leur direction et je les ai écoutés. On m’a traité de « fucking fag », de « gay bastard » et de toute sorte d’autres choses pas très polies. Les gars m’ont demandé ce que je voulais, si je voulais me battre, si j’avais un problème, etc. « Enfin, me suis-je dit, quelqu’un se préoccupe de mes désirs! »

Ça faisait au moins dix longues secondes que j’étais devant eux, immobile sous mon parapluie, sans rien dire, flegmatique. Puis j’ai fermé mon parapluie et je les ai dévisagés lentement, un à un, en restant calme et en prenant des airs de Clint Eastwood prêt à tirer. Je suis resté comme ça pendant dix autres longues secondes et les gars, confus, commençaient à ne rien comprendre. « What the fuck you want you bastard? », me demandait-on. Silence. Je n’avais pas l’intention de leur révéler mon talon d’Achille : l’anglais. J’ai continué à les dévisager intensément, avec le regard dur et méchant que j’ai hérité de ma mère (qui n’est ni dure, ni méchante, mais qui a parfois ce regard à glacer le sang qu’ont les prédateurs qui s’apprêtent à fondre sur leurs proies). Merci maman pour ce bel héritage qui, encore une fois, m’a été d’une grande utilité.

Au moment où j’ai pris mon parapluie par l’autre bout, pour mettre bien en évidence la mailloche de bois franc qui sert de poignée à ce long objet qui protège de la pluie, les apprentis gangsters ont eu, de toute évidence, une petite frayeur. L’arrogance s’est transformée en inquiétude, l’ivresse en détresse et les insultes en silence. Après plus de trente secondes d’immobilité, j’ai fait trois pas vers eux, ils ont reculé de deux, puis je me suis élancé follement vers le fan de Rihanna comme si j’allais frapper un coup de circuit avec sa tête et là, les gars, affolés, ont reculé en courant et en m’implorant de rester calme. Dans leurs grands yeux de grenouilles qui fument et s’apprêtent à exploser, j’ai pu lire cette phrase, écrite en lettres majuscules : « There’s a new sheriff in town ».

J’ai rouvert mon parapluie, leur ai tourné le dos et me suis dirigé vers la LCBO, tranquillement, comme s’il ne s’était rien passé. J’ai acheté deux bouteilles de rouge italien et six cannettes de Pabst Blue Ribbon. Quand je suis repassé devant la gare d’autobus, mes nouveaux amis avaient disparus. Heureux de la minute de sensations fortes que m’avaient procurée cette bande condamnée pour toujours à la médiocrité, je suis rentré à mon hôtel, le cœur léger, pour boire une partie de mon butin en écrivant cette histoire, au chaud, dans ma chambre à l’abri de la pluie.

Satori à Sudbury.

 

14 octobre

Pleurer ne sauvera pas Sudbury. Il pleut aujourd’hui et la ville est triste et grise comme le visage d’une grand-mère embaumée. C’est toutefois une journée idéale pour aller bouquiner et, qui sait, trouver un trésor, une perle rare au Bay Used Books, la librairie de livres usagés sur la rue Elm, à deux pas de l’hôtel où je passe le plus clair de mon temps à trouver le temps long.

Le Bay Used Books correspond exactement au type de librairie où j’aime aller. Comme dans la plupart des vieilles librairies parisiennes, les livres semblent avoir été empilés n’importe comment, le désordre est parfait et une odeur de vieux papier et de vieux tapis sale flottent dans l’air et égratigne l’intérieur des narines. J’adore. Dès que j’ai ouvert la porte, je me suis senti comme un pirate devant un gros coffre rempli d’or. J’ai fait le tour de la librairie une première fois, à la recherche de livres francophones cachés quelque part, puis une deuxième fois, une troisième fois, sans jamais trouver la trace d’un livre écrit en français. Je suis allé me renseigner auprès du jeune homme assis derrière la caisse pour savoir s’il était possible de trouver ici un livre écrit dans la langue de Molière, la seule que je suis capable de lire. J’ai donc sorti mon anglais plus que merdique et lui ai demandé : « French books somewhere? Do you have? » Le gentil commis-libraire m’a tout de suite compris, malgré le fait que mon anglais est à peu près au même niveau que celui d’un babouin. Il m’a conduit à un escalier que nous avons descendu ensemble afin de nous rendre au sous-sol et, à ma grande surprise, il y avait au sous-sol presque autant de livres qu’à l’étage. Impressionné, je lui ai demandé : « All books here are french ?! » Ma question l’a fait sourire. « No sir, follow me », m’a-t-il répondu.

Je l’ai suivi jusqu’au fond de la pièce, où se trouve une vieille porte de métal épaisse comme celles des chambres froides industrielles. La section de livres francophones est cachée derrière cette porte. « Section » est un terme peut-être un peu trop généreux, à peine une trentaine de livres sont éparpillés dans cette pièce ténébreuse qui a plutôt l’air de catacombes. Une petite ampoule sur le point de rendre l’âme éclaire ce fond de caverne de manière intermittente. Je ne me suis pas attardé très longtemps dans cet endroit peu rassurant, d’abord parce qu’il n’y a rien d’intéressant (des biographies de Céline Dion, de Jean Lapointe et des romans de Rafaële Germain, de Marie Laberge et toute sorte d’autres merdes indigestes comme celles-là), mais surtout en raison de la souris que j’ai vue courir tout près de moi. Je n’ai peur que d’une chose dans la vie, les souris et les rats, c’est ma phobie. Amenez-moi un ours enragé, un loup affamé, un ministre Conservateur, je peux dealer avec ça et leur briser le cou à mains nues. Mais la vermine, pas capable, j’ai peur, très très peur de ces petites bêtes-là.

Je suis sorti des catacombes en courant, grimpé l’escalier comme si un lion me pourchassait et, quand le gentil commis-libraire m’a vu, il m’a demandé si j’avais trouvé ce que je cherchais. Les yeux ronds comme des deux piastres, je l’ai regardé, j’ai essayé de dire quelque chose en anglais et finalement je n’ai rien dit, je suis sorti sans dire bonjour en sachant que plus jamais je ne mettrai les pieds au Bay Used Books.

Déçu de n’avoir aucun nouveau livre à me mettre sous la dent, je suis allé noyer ma peine et ma peur avec une bonne bière au Laughing Buddha, un resto-bar sympathique sur la rue Elgin. Arrivé là-bas, j’ai sorti papiers et crayon pour écrire l’anecdote que vous venez tout juste de lire. J’étais en train d’écrire tout ça lorsque, comme par miracle, une jeune femme absolument magnifique et sa copine un peu moins magnifique sont venues s’asseoir à côté de moi. Je dis « comme par miracle » car, en cinq jour, c’était la première vraie très belle femme que je rencontrais à Sudbury. Elle aussi, elle a semblé me trouver pas mal du tout ; elle m’a regardé avec des lumières de Noël allumées dans les yeux, en souriant (le plus beau sourire canadien), puis m’a dit d’une voix mielleuse : « Hi… ». Ravi, je lui ai moi aussi dit « Hi… », un des seuls mots que je maîtrise en anglais. « What are you doing ? », m’a-t-elle chaleureusement demandé. Et c’est là que tout a foiré. Avec mon accent de frenchie qui a appris l’anglais à l’école buissonnière, j’ai essayé de lui expliquer que je suis écrivain, de passage à Sudbury pour écrire un blog quotidien, mais elle n’a pas compris un seul mot de mon frenglish pitoyable. Je me suis moi-même rendu compte à quel point j’avais l’air simiesque et retardé pendant que je lui racontait tout ça. « Are you french Canadian? », m’a-t-elle demandé avec un brin de déception dans la voix. « No, a Quebecer, I am a Quebec man », lui baragouinai-je. J’ai vu toutes les lumières de Noël dans ses yeux s’éteindre et son sourire débander instantanément. Elle a dit quelque chose que je n’ai pas compris à sa copine et elles ont rit, probablement de moi. « Have a nice day », m’a-t-elle dit avant de ne plus jamais m’adresser un regard.

Je me suis senti comme doivent se sentir les petits garçons avec qui la nature n’a pas été généreuse et qui se font choisir en dernier au ballon-chasseur dans la cours d’école et au hockey dans la rue. J’ai bu le reste de ma bière en une gorgée, honteux, avant de ranger papiers et crayon. Je suis sorti sur la rue Elgin où la pluie n’a jamais cessé de tomber. Sudbury devant moi était triste et grise comme le visage d’une grand-mère embaumée. Pleurer ne sauvera pas François Guerrette.

 

13 octobre

Je me doutais bien en me levant ce matin que toute la ville de Sudbury serait mise sur pause aujourd’hui, Thanksgiving oblige. En Ontario, on semble accorder une importance étrange à cette fête où on remercie naïvement Dieu pour toutes les récoltes de l’année. Ceci dit, j’étais quand même un peu surpris, en début d’après-midi, de ne pas entendre les femmes de ménage bruyantes qui, d’habitude, hurlent pour se parler dans les corridors de l’hôtel et dans les chambres vides en passant l’aspirateur. J’étais surpris mais content.

Invité à Sudbury pour tenir un blog quotidien, je m’étais dit que pour moi ce n’était pas un jour férié, que je devais sortir pour me promener en ville en quête d’anecdotes et d’aventures à raconter. En arrivant dans le hall d’entrée de l’hôtel, j’étais encore une fois un peu étonné de voir que même la réceptionniste du Days Inn (qui me regarde avec des couteaux rouillés dans les yeux chaque fois que j’essaie de lui parler en français) n’était pas à son poste. « Probablement partie aux toilettes, ou en train de rôtir en Enfer avec toutes les dindes de la Thanksgiving », m’étais-je dit.

La rue Elm où est située mon hôtel est normalement une rue très passante. Il y a sur cette rue plusieurs magasins, quelques restaurants, un centre commercial, les locaux des éditions Prise de Parole, des dépanneurs, bref, beaucoup de choses qui attirent les voitures et les piétons hors de chez eux. Mais là, en ce lundi, rien : pas de voitures, pas de piétons, rien du tout. J’avais l’impression d’être dans un vieux western, précisément dans la scène où une botte de foin roule sur la rue déserte avant le duel entre le bon cowboy et le méchant cowboy. Après une bonne minute sans aucun signe de vie sur la rue Elm, j’ai commencé à m’inquiéter. Étais-je le seul survivant d’une apocalypse qui avait eu lieu pendant mon sommeil sans que je m’en rende compte? Est-ce que tout le monde était caché dans leurs abris nucléaires après que les autorités canadiennes, sans que je le sache, aient averti les habitants de Sudbury d’une éventuelle pluie d’astéroïdes, de l’arrivée du virus Ebola en Ontario ou d’une attaque imminente de l’État islamique? Bien sûr que non, mais j’étais néanmoins très perplexe devant l’étrangeté de la situation. Où donc pouvaient bien être tous les cowboys en Harley, les indiens édentés? La police? Les pompiers? Où étaient passés tous les quêteux, les petits vieux en triporteur qui n’ont rien à faire et les chômeurs qui s’ouvrent une grosse bière le matin?

J’ai descendu la rue Elm jusqu’à la rue Elgin. Elgin est une rue intéressante, on y trouve des restos à la mode, quelques bars honnêtes, de jolis petits cafés, la Galerie du Nouvel Ontario et l’aréna où jouent les Wolves de Sudbury. Je m’attendais bien à ce que tous ces établissement, en ce lundi de Thanksgiving, soient fermés, mais encore une fois j’étais sur le cul en me rendant compte que j’étais absolument seul. Pas de quidams, pas de voitures, même pas de mouettes! J’ai marché craintivement sur Elgin jusqu’à la rue Grey, après quoi j’ai rebroussé chemin afin de bifurquer sur la rue Durham. Sur Durham, il y a des fastfoods, des banques, des vieux magasins et des bars de gars de char. Où pouvaient donc se cacher tous les gars de char, les chercheurs de trouble et les doormen toujours en tabarnak? Pourquoi ne voyais-je autour de moi aucuns fans des Maple Leafs, aucunes plottes à puck? Dans quelle dimension parallèle m’étais-je retrouvé? Où étaient passées toutes les waitress écœurées de se faire pogner les fesses, les danseuses fatiguées et tous les fumeur de « Sudbury-crack »? Et les jeunes filles de 14 ans enceintes qui fument des Export-A vertes? Et les vieilles madames bronzées et trop maquillées qui s’habillent comme des adolescentes de 15 ans? Je n’y comprenais rien.

J’ai marché jusqu’à la rue Cedar, que j’ai descendue au pas de course jusqu’à la rue Paris, puis, en tournant à ma gauche, j’ai pu retrouver la rue Elm et c’est là, précisément au coin de Elm et Paris, que j’ai tout compris! Je n’étais ni dans une autre dimension, ni dans un univers post-apocalyptique. Au coin de Elm et Paris se trouvait le Tim Horton du centre-ville, l’endroit le plus achalandé du Grand Sudbury. Dix-huit voitures faisaient la file pour la commande à l’auto. En entrant dans le fameux restaurant, le seul endroit ouvert en ce maudit jour de Thanksgiving, j’ai vu les femmes de ménage du Days Inn en compagnie de la vilaine réceptionniste. Tout le monde était là : les cowboys en Harley, les indiens édentés, la police, les pompiers, les petits vieux en triporteur qui n’ont rien d’autre à faire, les quêteux, les chômeurs qui se débouchent une grosse bière en se levant le matin. Il y avait aussi, dans le Tim Horton, des gars de char, des chercheurs de trouble, des doormen en tabarnak, des fans des Maple Leafs et des plottes à puck. Il y avait même des waitress écœurées de se faire pogner les fesses, des danseuses topless fatiguées, des fumeurs de « Sudbury-crack », des jeunes filles de 14 ans enceintes qui fument des Export-A vertes et des vieilles madames bronzées, beaucoup trop maquillées, qui étaient habillées comme des adolescentes de 15 ans. J’étais rassuré en voyant tout ce beau monde-là fêter harmonieusement la Thanksgiving au Tim Horton, cette grande institution canadienne (« la fierté du Canada », comme disait M. Stephen Harper) qui a malheureusement été vendue à Burger King cette année.

J’ai tout de suite remarqué, pendant que je commandais un très gros café, que les clients dans le restaurant, même les policiers, me dévisageaient comme s’ils voulaient me voler mes bottes et mon manteau de cuir. Cela voulait dire que tout était redevenu normal, tout allait bien, je pouvais retourner l’esprit tranquille au Days Inn pour écrire ce qui venait d’arriver.

 

12 octobre

Dimanche soir à Sudbury, la veille de la Thanksgiving, impossible de trouver un restaurant ouvert. La machine à chips du Days Inn est un vrai mirage, ma seule chance de faire taire mon estomac qui n’arrête pas de maudire cette maudite fête plate. Je suis toutefois de très bonne humeur, j’ai appris plusieurs nouvelles choses aujourd’hui et ça m’excite beaucoup ; des choses qui manquaient terriblement à ma culture.

1. Sudbury est le point de départ de toute l’humanité. Des scientifiques américains ont découvert qu’un cratère provoqué par le plus gros météorite de l’histoire de la Terre, il y a trois milliards d’années, serait à l’origine de la vie humaine. L’impact de ce météorite aurait eu des répercussions jusqu’au Minnesota et aurait activé les molécules qui ont permis le développement primitif de l’humanité. Wow! Ça explique beaucoup de choses, dont pourquoi les adolescents et les jeunes adultes originaires de Sudbury ont déjà l’air vieux et maganés. Moi qui pensait que c’était parce que la drogue à Sudbury avait été coupée mille fois avec des milliers de produits empoisonnés. Je suis content de savoir que je m’étais trompé.

2. Il y a à Sudbury le plus gros 5 cents du monde! En 1964, pour rendre hommage à l’industrie du nickel, on a érigé sur une colline un immense monument : un 5 cents d’environ 50 pieds de haut et 50 pieds de large. Ce 5 cents-là provoque une éclipse solaire si on s’en approche un peu trop. Le 22 juillet dernier, on a célébré en grande pompe le cinquantième anniversaire du gros 5 cents. Bonne fête en retard et longue vie au plus gros 5 cents du monde!

3. À la fin des années 1960, croyez-le ou non, la NASA a envoyé à Sudbury une équipe d’astronautes afin de se préparer pour le grand voyage vers la Lune. Après avoir fait des recherches, des spécialistes de la NASA ont conclu que Sudbury était, parmi toutes les régions du monde, celle qui ressemblait le plus au territoire lunaire. Ils sont donc arrivés en ville avec tout leur attirail d’astronautes et leurs ordinateurs ultra sophistiqués pour se pratiquer à marcher sur des déserts de roches noires. Je me demande si Neil Armstrong et ses amis ont été, en fin de soirée, à Coulson pour prendre un verre, se reposer et se faire donner une volée par les ivrognes et les drogués du coin. Dans ce bar-là, les doormen ont les pupilles dilatées et ne niaisent pas longtemps avec les étrangers.

4. Paul Desmarais est né en 1927 à Sudbury. Il n’est jamais allé prendre un verre à Coulson.

 

Demain, Thanksgiving, j’espère qu’il va rester des sacs de chips dans la machine du Days Inn…

 

11 octobre

Sudbury est une belle ville minière qui a la même couleur que mes poumons à l’époque où je fumais deux paquets d’indiennes par jour. Géographiquement, cette ville étonne en raison de l’inquiétante quantité de parkings, immenses et déserts, qui recouvrent la majeure partie du territoire. Je me sens ici comme chez moi, ça ressemble à la région où j’ai grandi. Le centre-ville sudburois, à première vue, est un croisement entre Matane, Hochelaga et la Sibérie. J’ai d’ailleurs tout de suite pensé à la Sibérie en atterrissant à l’aéroport, situé à une vingtaine de kilomètres de la ville, d’abord parce que les deux mots se ressemblent beaucoup (Sudbury et Sibérie), puis en raison du paysage lunaire et froid qui semble s’étendre jusqu’au bout du monde. Je pense souvent à Dostoïevski : lui, il a passé quatre ans en Sibérie (1849-1853), condamné au bagne à Omsk ; moi, je suis condamné à pratiquer mon anglais en Ontario. Car Sudbury, contrairement à ce que raconte la légende, n’est pas une ville bilingue. Je m’en suis rendu compte en faisant la tournée des bars, tournée qui n’a pas été bien longue puisque les bars, peu nombreux, ferment très tôt. Ceci dit, les quelques francophones rencontrés jusqu’ici sont gentils, polis, cultivés, intelligents, ce qui contraste énormément avec la population anglophone qui fréquente les établissements où on sert à boire. Le centre-ville de Sudbury, la nuit, devient le Far-West des douchebags. Mais je ne ne perds pas espoir, un anglais ou une anglaise du coin me prouvera tôt ou tard que j’ai tort et qu’être un vrai Canadien n’est pas si grave. Comme disait Jim Morrison, « people are strange when you’re a stranger ». À suivre…

 

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